La mondialisation du marché des « matières premières » que sont les étudiants et des « produits finis » que sont les diplômés, l’irruption des nouvelles technologies dans le process de diffusion du savoir bouleversent le business model de l’enseignement supérieur comme jamais… Tour d’horizon des forces en présence.
La gouvernance de nos universités mise à mal par l’état des finances publiques et l’absence de sélection universitaire
En 2008, la commission Attali avait suggéré l’instauration d’une évaluation des enseignants par les élèves comme cela existe depuis des années dans nombre de pays développés… et le site web Note2be.com était alors apparu pour permettre aux élèves français de noter leurs professeurs. 15 jours plus tard, le syndicat enseignant SNES, obtenait en justice la suspension de ce service et depuis lors, la 5° proposition du rapport Attali est passée aux oubliettes. L’asymétrie du rapport enseignant/ étudiant est provisoirement sauvegardée, l’élève (et sa famille) considérés comme des assujettis et non des clients et le modèle « égalitaire » préservé.
Mais depuis 2003, les évaluations du niveau des élèves français, âgés de 15 ans, (rapport PISA) montrent que la France a rétrogradé de 5 places dans le classement des 34 principaux pays de l’OCDE ; le rapport de Shanghai, classant les universités mondiales, est également sévère pour nos établissements d’enseignement supérieur. L’objectif « 80% de bacheliers » est atteint au prix d’une baisse progressive du niveau des examens, illustrée par exemple, cette année par une pétition des élèves de terminales exigeant l’annulation d’une épreuve d’anglais jugée trop élitiste car exigeant de savoir où se trouve Manhattan.
La gouvernance de nos universités repose sur un modèle unique au monde caractérisé par l’absence de sélection à l’entrée en faculté et l’élection des administrateurs par les personnels enseignants et non enseignants, qui génère une grande inégalité des résultats (Paris VIII Vincennes-Saint Denis versus Paris IX Dauphine) et un grand écart dans l’employabilité des diplômés.
L’état des finances publiques et l’absence de sélection universitaire créent une équation budgétaire de plus en plus difficile qui finit par atteindre les ESC (Ecoles Supérieures de Commerce) et les facultés des Métiers appauvries par la réorientation de la Taxe Professionnelle et le tarissement des financements alloués par les CCI.
Des financements alternatifs ont été mis en place par quelques établissements, par exemple une fondation dotée de 65 M€ finance en partie TSE (Toulouse School of Economics) présidée par Jean Tirolle, prix Nobel d’économie en 2014. Des investisseurs privés investissent le marché de l’enseignement supérieur et les opérations se multiplient : HIG Capital vient de conclure la vente du Groupe « International School of Europe » à Inspired.
Dans le même temps, la recherche d’économies d’échelle (enseignants, campus, fonds) mais aussi la course à une taille critique, condition nécessaire à la visibilité et à l’attractivité face aux plus grandes universités, souvent américaines, poussent inéluctablement au regroupement des écoles. Ainsi sont apparus Skema, regroupement du Ceram Nice et de l’ESC Lille, Kedge, fusion entre Euromed Marseille et Bordeaux Ecole de Management, Escem, rapprochement des ESC de Tours et de Poitiers, Neoma, fusion des écoles de Reims et de Rouen… Les écoles d’ingénieurs sont également à la manœuvre, avec notamment le rapprochement entre l’École Centrale et Supelec.
Des entreprises fondent leurs propres écoles pour répondre à la pénurie de talents qu’ils subissent : Xavier Niel crée l’école 42 à Paris puis à Fremont en Californie ; le groupe ACCOR, après avoir noué un partenariat stratégique avec l’école hôtelière de Lausanne, envisagerait de créer en France sa propre école.
Une transformation nécessaire à l’heure des technologies éducatives disruptives et des nouvelles pédagogies
Ces éléments factuels sont autant de morceaux d’un puzzle qui se dessine dans un secteur qui commence à être fortement impacté par la digitalisation et la mondialisation.
La présente génération étudiante, « les millennials », est la première à être « digitale native » et immergée dans un monde hyper connecté irrigué par les réseaux hauts débits qui permettent une forte interactivité mise en évidence par les « games ».
Dans le même temps, de multiples initiatives développent des technologies éducatives disruptives et de nouvelles pédagogies.
Dans la Grèce antique, le Maître formait 3 ou 4 disciples, puis au XIXème le tableau noir et la craie ont permis à un professeur d’enseigner à dix fois plus d’élèves, au XXème siècle le micro et le rétro projecteur ont décuplé le rayonnement de l’orateur à même de transmettre à des centaines d’étudiants. Aujourd’hui, la video et youtube, les réseaux et la banalisation des terminaux permettent de créer des plateformes offrant, souvent gratuitement, en eLearning des MOOC (Massive Online Open Course) utilisés à la fois en formation initiale (post bac) et en formation continue.
Peu pratiquées en France, ces technologies sont largement utilisées outre atlantique, en Inde et en Chine. Car de la même façon que le continent africain dispose aujourd’hui du téléphone cellulaire sans être préalablement passé par l’étape filaire, les BRICS qui ont des millions d’étudiants et de cadres à former ont compris que la digitalisation économise drastiquement les besoins immobiliers et les charges enseignantes.
Les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) ne cachent pas leurs ambitions sur ce marché et il est à noter que Microsoft vient d’acquérir LinkedIn… et d’annoncer que celui-ci se positionnerait sur la formation tout comme Lynda va probablement intégrer la suite bureautique Office.
Enfin, les progrès de l’Intelligence Artificielle (IA), la généralisation de la traduction simultanée, vont briser les frontières linguistiques, contourner ceux qui s’abritent derrière la fragile ligne Maginot de l’exception culturelle française, et permettre au public francophone de profiter des travaux des chercheurs anglo-saxons, indiens ou chinois… le succès de Koober en est probablement un signe précurseur.
Cette révolution économique, technologique, bouleverse nos établissements d’enseignements confrontés à des choix stratégiques et à des évolutions statutaires (Loi Mandon) qui sont des projets complexes exigeant un renforcement temporaire des équipes dirigeantes (missions de transition) ou carrément un changement de génération de la gouvernance.
Ces cinq dernières années, Eurosearch et Associés, s’est vu confier une dizaine de mandats par des établissements d’enseignement professionnel ou supérieur qui ont permis de développer une expertise inégalée et de basculer ces écoles vers de nouveaux paradigmes.
Pierre-Dominique Henry et Philippe Laverne
Partners Eurosearch & Associés